St James Park

[Premier post]

Par un chaud début de soirée, une pie sur une branche contemple une ombrelle blanche déambuler dans l'allée des bouleaux. Grande corole aux blanches pétales de tissu, protégeant dieu sait quoi des rayons d'un soleil déjà mourant. La pie pousse un cri strident pour héler la fleur sans racine...

"- Hé, que fais-tu là blanche? Une fleur ne devrait pas sortir de son jardin!"

En réponse à l'injonction, la corole se soulève légèrement et un visage enfantin apparait dessous, souriant.

"- Je ne suis pas une fleur, je suis une petite fille!" Pourrait-elle répondre si elle connaissait le langage des pies; mais elle se contente de sourire à l'oiseau de malheur qui la regarde d'un air intrigué, la tête penchée de côté, avant de pousser un nouveau cri outré et de prendre son envol, honteux de sa méprise et de sa propre bêtise...

"- Ce parc est vraiment charmant..." Soupira la demoiselle avant de replier son ombrelle et la porter au bras.

Ann Gardener poussa un léger soupir en fixant le bout de l'allée, vide de monde. Rentrer chez soi... après avoir passé un après-midi au soleil, entouré de gens de bonne famille dans le parc. Rentrer chez soi et endosser son rôle de diseuse de bonne aventure.

Pourtant, elle n'était pas pressée. Ces rendez-vous mondains avec ses clients pourraient attendre encore un petit peu pendant qu'elle relaçait ses bottines, assise sur ce banc à sa droite, si pas, tant pis.

Ann avait depuis longtemps fini de lacer ses bottines quand un garçon arriva dans le parc en courant, un livre à la main, avant de s'asseoir à peu près en face d'elle. Curieuse, la dame au corps d'enfant pencha la tête légèrement de côté, et, avant de faire quoi que ce soit de fâcheux, endossa son costume de petite fille joyeuse et normale, ayant envie de se jouer de l'adolescent. Elle déposa son ombrelle à ses côtés sur le banc avant de sauter en bas de celui-ci, évitant de justesse une flaque de boue qui aurait ruinée sa mise.

Lissant de la main une de ses longues mèches de cheveux d'un air qui se voulait distrait, Ann sourit d'un air ingénu en s'adressant au garçon comme le voulait l'étiquette, bien qu'il ne s'agisse probablement pas d'un garçon de bonne famille, sinon il ne se promènerait pas seul à cette heure dans ce parc.

"- Bonjour monsieur. Que lisez-vous? Est-ce passionnant?"

D'un geste maniéré, elle lissa les plis de sa robe en dentelles avant de faire de petits pas calculés dans sa direction. La pie qui s'était envolée un peu plus tôt revint se poser sur une branche non loin, observant le manège de la fille-fleur d'un air circonspect.

Luther était définitivement content de sa prise. Ce livre était très bien fait ! Il y avait même des croquis pour expliquer comment remettre des articulations en place ou même des recettes de certains remèdes naturels ! Ca allait être super pratique !

Mais être passionné n'empêche pas d'être prudent, il l'avait vite apprit. C'est pourquoi il ne loupa pas du coin de l'oeil la jeune fille qui se rapprochait de lui. Il ne put s'empêcher de penser qu'il y avait définitivement quelque chose de pas naturel chez cette fille.

D'un autre coté, ce n'est pas comme si il était un spécialiste des filles hein... peut être que c'était normal !

En attendant, la fille s'adressait à lui, il se devait de lui répondre, et correctement de préférence. Elle semblait être de bonne famille et en plus, ça lui ferait travailler ses manières, ça pouvait toujours servir de pas les perdre !

Il reposa donc son livre sur ses genoux pour marquer que son attention était désormais tourné vers son interlocutrice et sourit aimablement.

- "Bonsoir Mademoiselle. Il s'agit d'un ouvrage sur la médecine, très interessant je dois préciser. "

Ann sourit d'un air bienveillant et joignit les mains ensemble dans une attitude réjouie.

"- La médecine? Vraiment? Ca doit être compliqué pour des jeunes gens de notre âge. Vous destineriez-vous à la médecine plus tard?"

Comme c'était rafraichissant parfois de jouer à l'enfant que l'on n'est plus... encore un enfant qui voulait grandir trop vite en face d'elle. C'était dommage. L'enfance, c'était l'innocence après tout. Souhaiter grandir trop vite était, selon Ann, probablement tout aussi terrible que de ne pas pouvoir grandir du tout, comme dans son cas.

S'approchant un peu plus près, croisant les mains dans son dos, la jeune fille se pencha légèrement vers le garçon, l'air paisible. Il était assez mignon, un visage agréable; mais vu de plus près, Ann put constater que ses vêtements étaient fort usés...

"- Souhaites-tu que je lise ton avenir? Tu pourrais savoir si tu vœux se réalisera ou non..."

Le blond ne put que sourire encore plus à la question.

-"Oh non ! Les études de médecine coutent bien trop chères il faut se rendre à l'évidence. Mais je suis du genre curieux, j'aime me documenter sur tout et n'importe quoi."

Tiens... et si la prochaine fois il essayait de se procurer un livre de lois Ca pourrait être drôlement pratique ça aussi !

Il haussa largement un sourcil à la proposition de la fille, surpris.

-"Je n'ai pas de vœu. Et puis... ne le prenez pas mal mais je ne crois pas vraiment à ce genre de chose."

Pour ne pas dire que son esprit cartésien s'opposait de toutes ses forces à ça ! C'était scientifiquement impossible que de simples particularités physiques comme les lignes de la main puissent représenter en quoi que ce soit l'individu concerné !

Luther était du genre à juger sur les faits, bon il était aussi prêt à croire ses impressions mais ce n'était pas pareil. Les impressions étaient un dérivé de l'intuition donc de l'instinct. Et l'instinct permettait de survivre.

Fallait pas tout mélanger hein !!

Ann rit doucement devant le scepticisme manifeste du garçon, discrètement, cachée derrière sa manche droite. Un esprit cartésien n'est-ce pas? Oh, elle avait affronté pires incrédules que ce jeune homme et elle pouvait se vanter de tous les avoir fait plier à un moment où à un autre.

"- Oh voyons! Même si vous n'y croyez pas, ça pourrait être amusant d'essayer, vous ne pensez pas?"

Joignant à nouveau les mains, Ann se redressa et recula de deux pas avant de faire une révérence impeccable, un sourire charmant sur le visage.

"- Je me présente, je m'appelle Ann Gardener! Diseuse de bonne aventure de mères en filles depuis sept générations..."

Attrapant son ombrelle, elle l'ouvrit et fit un petit pas de danse, tournant sur elle même et le refermant d'un coup sec à la fin de son pas, retombant assise au milieu du banc pour poser son ombrelle fermée sur ses genoux. Ne s'étant pas dépareillée de son sourire précédent, elle pencha la tête de côté, comme le font les oiseaux curieux.

"- S'il vous plait, laissez-moi lire votre avenir, pour mon entrainement! Je ne vous ferai pas payer, c'est promis!"

Ce qu'il était amusant de jouer ce rôle!
Sur sa branche, la pie dodelina de la tête avant de lisser ses plumes du bec.

Étant un garçon des plus simples, Luther ne pouvait qu’avoir l’impression que son espace vital (pourtant pas spécialement développé) était envahit par toutes les mimiques et les simagrées de la fille. Elle avait vraiment besoin de faire toutes ces expressions et tous ces gestes ?

M’enfin… les mondanités l’appelaient là non ? Aussi posa-t-il précieusement l’ouvrage sur le coté pour se lever et effectuer une révérence tout aussi impeccable que celle de la fille. Ah ouais ! Il était fier de lui là ! Il était quasi-sûr que son inclination était pile poil ce qu’il fallait dans cette situation.

-« Luther A. Lexer, c’est un honneur. »

Nan mais elle était pas la seule à savoir jouer ! Car la bienséance, c'était ça, un jeu dont le gagnant était celui qui connaissait le mieux les règles.

Il laissa la fille virevolter mais ne put s’empêcher de se sentir amusé. Elle en faisait pas un peu trop là ? Elle était où la bonne tenue des jeunes filles de bonne famille ? Ça manquait de maintien tout ça !

Il examina en détail la fille, réfléchissant à toute allure. Elle avait bien dit que c’était gratuit hein ? Luther sourit paisiblement. D’accord il allait la laisser faire. Après tout il n’était pas du genre obtus. Si elle lui prouvait qu’il avait faux, il s’inclinerait de bonne grâce. Ce n’est pas comme si il pensait avoir la science infuse après tout.

-« D’accord, nous verrons bien ce que ça donnera. Je vous promets même d’être de bonne fois si vous tombez sur de petits trucs justes ! »

Le sourire d'Ann s'agrandit en constatant que Luther avait changé d'avis rien qu'à l'entente du mot "gratuit". Elle savait qu'elle était intelligente; elle pouvait se targuer de facilement déceler la faiblesse des gens et d'en tirer le meilleur parti, tirant toujours sur la corde la plus sensible. La jeune femme se redressa dans une posture digne et bien droite, fouillant dans son petit sac en tissu après quelque chose.

Elle finit par en extraire un mouchoir de tissu blanc bordé de dentelle enveloppant d'étranges petits galets gravés. Des runes. Qu'elle posa à côté d'elle sur le banc avant de sortir un paquet de cartes de tarots qui, à en juger l'aspect, avait déjà du voir quelques générations de femmes les manipuler.

"- Je vais donc essayer de déceler quelques éléments de votre passé et de votre présent M. Lexer! Nous verrons ensuite si vous souhaitez connaître l'avenir ou non." S'exclama t'elle joyeusement en s'emparant des runes avant de les jeter au sol, en prenant garde de ne pas les faire se disperser dans la boue mais de les garder au sec.

Se relevant une nouvelle fois, mais cette fois pour s'accroupir afin d'examiner les runes en question; Ann replaça une de ses longues mèches de cheveux derrière son oreille, concentrée.

"- Vous êtes entouré de nombreux camarades; parmi eux, le dernier membre de votre famille encore en vie. L'un d'eux est très malade; il ne tiendra plus très longtemps si aucun médecin ne s'occupe de lui; il mourra avant la fin de l'hiver si personne ne fait rien..."

Le menton sur sa paume, Luther ne loupa pas un seul des gestes de la fille. Celle-ci avait eu l’air très satisfaite d’elle-même en l’entendant accepter. Bah tant mieux pour elle, ça lui faisait une belle jambe personnellement.

Il ne broncha qu’à peine lorsque, en effet, elle sembla deviner quelques trucs le concernant. Puis il sourit, un sourire un peu moqueur, frondeur, choisissant consciemment de laisser tomber son petit numéro de garçon bien élevé.

« -T’y étais presque ma belle. J’ai encore mon oncle en fait. »

Il s’en passerait bien mais c’était un fait. Ce vieux salaud était toujours vivant. Hélas. Comment il le savait ? Juste qu’il faisait les rubriques nécrologiques quand il mettait la main sur un journal. On ne sait jamais, des fois qu’il y ait des bonnes nouvelles !

A coté de ça, il lui allait reconnaître qu’elle était tombée juste pour Lily et Timmy.

Sauf que… elle en avait de bonnes elle ! « Il mourra avant la fin de l’hiver si personne ne fait rien ». Elle croyait vraiment lui apprendre quelque chose là ?

Il était au courant. Ils étaient tous au courant que les jours de Timmy étaient comptés.

« -Tes petits cailloux ne t’ont pas dit que si on l’emmenait pas chez le médecin c’est qu’on pouvait pas ? »

Nan il était pas sec. Mais eh ! Elle le connaissait pas le Timmy. Ca lui faisait peut être ni chaud ni froid de savoir qu’un garçon allait peut être mourir. Mais pour lui, c’était un de ses compagnons. Un de ses amis.

« -A moins qu’ils ne te disent où j’peux trouver l’argent pour le soigner ? »

Si ça servait juste à découvrir des petits trucs et les problèmes des gens sans proposer de solution, il ne voyait pas pourquoi elle avait l’air si fière de ses performances.

Amusée, Ann sourit doucement au garçon, comme si elle n'était pas consciente de la gravité de ce qu'elle venait d'annoncer. A vrai dire, c'était faux, elle en était pleinement consciente mais elle s'en fichait éperdument. Des morts il y en avait tous les jours, dans toutes les tranches d'âge et de population. Au moins ce garçon mourrait-il libre, il y en avait de plus à plaindre encore... néanmoins ce Luther l'amusait.

La jeune voyante ramassa ses runes et les rangea avant de fourrer sa main droite dans son petit sac à la recherche de quelque chose. Finalement victorieuse, elle en sortit une petite carte de carton de mauvaise qualité et la tendit au jeune adolescent. On pouvait clairement y lire l'inscription suivante:

Ann Gardener
Consultante ésotérique.
148c Lupus Street

Une adresse à Westminster...

"- En ce moment, nous avons besoin de quelqu'un pour aider à entretenir la maison pendant que je travaille. Si cela vous intéresse, vous ou un de vos amis, vous pourrez toujours vous présenter à cette adresse. Mais ne tardez pas trop à vous décider tout de même!"

Puis la jeune fille referma son sac et reprit son ombrelle avant de faire une nouvelle révérence respectueuse.

"- Je dois vous laisser à présent, la nuit va bientôt tomber et il n'est pas convenable pour une demoiselle de traîner dans les rues à cette heure, c'est une histoire à en perdre la tête..."

Puis, sans plus de cérémonie, elle s'éloigna de Luther afin de retourner chez elle, contente de son allusion à la terreur londonienne du moment -en-dehors de Jack bien entendu...

[ Retour à la vie mondaine ]

Luther regarda la fille s’éloigner sans rajouter un mot.

Elle lui plaisait pas ! Elle lui laissait une sacrée mauvaise impression contre laquelle il n’avait pas envie de lutter. Baissant les yeux, il examina la carte qu’elle lui avait donnée. Consultante ésotérique…. Tu parles d’un titre ! Mais la proposition pouvait être intéressante. Il faudrait qu’il voit avec J.J, ptête qu’une des filles de la bande pourrait s’en charger… sur que le ménage c’était pas son truc à lui. Et puis il avait pas envie de côtoyer la fille. Vraiment aucune !

Avec un soupir il se laissa aller en arrière, avachi sur le banc, une main sur le livre et le visage levé vers le ciel. Le coucher de soleil illuminait de nuances 'écarlates les nuages. C'était peut être joli pour certains mais lui trouvait que ça avait un air morbide. Comme si le ciel était ensanglanté. Erk.

Il finit par secouer la tête pour se chasser cette idée de la tête - elle servait à rien ! - et se releva sans oublier d'attraper le bouquin dans la foulée. Bon allez ! Il était l'heure de rentrer pour lui aussi.


[vers je sais pas où encore]